Patron d’une PME, et si vous adoptiez un « DG à louer »?

Par Agathe Beaujon (articlce paru dans « Challenges »)

Un « DG à louer », pour pallier la solitude des patrons. La formule des cadres à temps partagé n’est pas nouvelle, mais le marché décolle, porté par la crise.

Il y a un an et demi, la PME spécialiste de la mise en sécurité des bâtiments, Airtech Solutions, s’est retrouvée face à un problème d’organisation. Le service conception ne croisait jamais « les gars du chantier », résultat, l’équipe manquait de cohésion et de coordination. Pour trouver une solution, une nouvelle dynamique et de nouveaux process, l’entreprise strasbourgeoise de 10 personnes avait donc besoin de nouvelles compétences. Mais plutôt que de recruter quelqu’un à temps plein, son dirigeant, Laurent Schott a plutôt fait le choix du temps partagé. C’est via le réseau Kairos qu’il a fait la rencontre de Pierre Lehn, son « DG à temps partiel » depuis 18 mois.

« Notre structure ne permet pas d’embaucher un nouveau cadre, nous avons donc fait appel à Pierre Lehn en temps partagé, pour mettre en place des indicateurs, créer des réunions régulières et nous accompagner sur les recrutements », explique Laurent Schott. Dans une vie antérieure, Pierre Lehn a été cadre dirigeant, avec des fonctions managériales, de direction marketing ou encore commerciales dans le secteur de la distribution professionnelle, entre l’Allemagne, la France et la Suisse. Jusqu’en 2018, quand à 50 ans il a décidé de créer sa propre entreprise: Calade conseils, pour « mettre son savoir-faire au service des autres patrons ».

Le temps partagé en pleine croissance

Mais cette activité de « directeur à temps partagé » n’a rien de nouveau. Bruno Doron, par exemple, à fondé le réseau « Bras droit des dirigeants » (ou BDDD), l’un des plus gros acteurs français du temps partagé, dès 2008. Aujourd’hui, il réunit 120 cadres indépendants franchisés, répartis en six métiers: de la direction générale au marketing digital, en passant par la direction commerciale, administrative et financière, ou les ressources humaines.
« En moyenne, chaque cadre a entre trois et cinq entreprises clientes, et passe un à deux jours par semaine chez chacune d’entre elles, explique Bruno Doron. La première mission dure entre trois et six mois, puis nous assurons un accompagnement sur la durée, avec des contrats renouvelés tous les ans. » Les cadres à temps partagé remplissent donc des missions opérationnelles pour des entreprises qui ne veulent ou ne peuvent pas embaucher un salarié à temps plein. Le tout pour un tarif de 750 euros à 900 euros la journée, facturé mensuellement.

Le marché, lui, est en pleine expansion, rassemblant plus de 430.000 professionnels selon les estimations du Portail du temps partagé. « Quand nous avons créé le réseau, nous n’avions que des TPE et petites PME. Aujourd’hui, nous avons 50% de PME qui pourraient se payer un cadre à temps plein, mais qui ont plusieurs besoins, et pour le même budget peuvent ainsi accéder à plusieurs compétences. Par exemple, si une PME à besoin d’un directeur commercial et d’un DRH, elle peut avoir les deux en temps partagé, pour le prix d’une embauche », pointe Bruno Doron qui assure avoir de plus en plus d’ETI parmi ses entreprises clientes (5 à 10%). « Le marché évolue beaucoup depuis trois ans. En 2020 la crise a aussi donné un vrai coup d’accélérateur en stoppant les embauches, alors que les besoins des entreprises n’ont pas disparu. » Pour preuve de ce dynamisme, le réseau BDDD intègre trois à cinq nouveaux profils tous les mois. « De plus en plus de concurrents arrivent sur ce marché en pleine croissance. »
Pour se faire une place il y a trois ans, Pierre Lehn a, lui, choisi de se démarquer par son modèle économique. Il ne facture pas au nombre de journées passées dans l’entreprise, mais au forfait, en fonction de ses missions, entre 1.800 et 3.500 euros par mois. « Un prix net, sans les charges d’un salaire, ce qui permet de maîtriser ses coûts », souligne ce « DG à louer » qui indique avoir huit clients simultanés à l’heure actuelle. « Les entreprises savent qu’elles peuvent m’écrire à tout moment, ou programmer des réunions sans impact sur leur facture à la fin du mois. »

Jimini cricket à l’oreille des patrons

« Cadre à temps partagé », « DG à louer », ou « Jiminy Cricket » à l’oreille des patrons, si leurs (sur)noms et leur facturation diffèrent, Pierre Lehn et Bruno Doron s’accordent au moins pour dire qu’ils ne sont ni coachs, ni consultants. Le principe du directeur à temps partagé est d’assumer des missions opérationnelles, sur le temps long, en s’intégrant le mieux possible aux équipes. « Je passe beaucoup de temps avec tous les salariés », promet Pierre Lehn. Même philosophie pour Bruno Doron: « Généralement nous avons un bureau dans l’entreprise, nous sommes très intégrés. Il s’agit juste d’un nouveau mode d’organisation de l’entreprise. Je suis persuadé que demain on ne se posera même plus la question de savoir qui est salarié ou pas. »
Il n’est pas non plus question de bataille d’ego entre patron et directeur à temps partagé. Même quand il assume des fonctions de directeur général, il n’est jamais mandataire, n’a pas de pouvoir de signature ou de déblocage de budgets. « Nous nous mettons d’accord dès le début avec le dirigeant sur la problématique, les objectifs et la ligne d’intervention, puis nous sommes évalués comme n’importe quel salarié », promet Bruno Doron.
Sauf que le cadre ou le « DG à louer » n’a pas le même lien de subordination avec ses patrons clients que les collaborateurs salariés. « Cette position permet une certaine liberté dans les discussions, et la possibilité de dire non si la décision nous paraît mauvaise », souligne Bruno Doron. « La solitude des dirigeants est réelle et terrible, ils ont besoin d’échanger. Quand il y a un lien de subordination, il est compliqué d’avoir un avis neutre« , renchérit Pierre Lehn. Problème résolu avec le DG à temps partagé, à condition qu’il sache bien jongler entre tous ses patrons.